Le bagne calédonien

Et Dumbea, donne aujourd’hui le nom d’ Higginson ŕ son école...

samedi 8 décembre 2012


La Mine Pilou

AnnexĂ©e par la France en 1853, La Nouvelle CalĂ©donie sera très vite transformĂ©e par NapolĂ©on III en 1864 en une terre de grande punition, avec la transportation de condamnĂ©s aux travaux forcĂ©s. A l’instar de la Guyane, le projet ici est double, il faut dĂ©barrasser et Ă©loigner de l’hexagone, ces indĂ©sirables ainsi que peupler une colonie, ce qu’illustre bien le mot "colonisation pĂ©nale". Les moyens sont simples pour le gouvernement français qui s’appuie sur un modèle britannique en Australie.

Arsenal juridique, hommes Ă  dĂ©porter, marine pour transporter les condamnĂ©s et colonies pour les accueillir, tout est en place le 8 janvier 1864 pour expĂ©dier Ă  bord de l’IphigĂ©nie les 250 premiers bagnards (22000 jusqu’en 1897) sur ordre de NapolĂ©on III. [1]

Il n’a jamais Ă©tĂ© question d’envoyer ces bagnards se dorer sous les tropiques, mais bien de rentabiliser la gestion de l’administration pĂ©nitentiaire. Ils participeront Ă  crĂ©er infrastructure routière entre autre... Mais certains colons ont vite compris le profit qu’il pouvait tirer de ces forçats. C’est en 1859 qu’un certain John Higginson arrive sur le Caillou [2]. Ă€ la fin des annĂ©es 1860, il est « l’homme de toutes les affaires » dans l’Ă®le1. En 1870, il ouvre une mine d’or, puis dans les annĂ©es suivantes, exploite des gisements de cuivre, de cobalt et d’antimoine et surtout de nickel.Il obtient par contrat avec l’administration, 300 condamnĂ©s pour sa mine de Diahot pendant 20 ans. C’est ainsi que lui et les autres exploitants miniers signeront avec l’administration pĂ©nitentiaire, leur premier contrat de "chair humaine". La SLN (celle qui aujourd’hui pollue NoumĂ©a) signera de son cotĂ© un contrat lui donnant le droit d’employer 100 Ă  200 bagnards pendant 10 ans. N’oublions pas dans cette analyse que la SLN a Ă©tĂ© crĂ©e par ? Higginson ! [3]

A leur fin de peine, peu de ceux-lĂ  obtiendront une concession de terre dans les centres de colonisation pĂ©nales crĂ©Ă©s pour eux, Bourail 1869 et La Foa 1883... Certains resteront en tant qu’employĂ©s, mais sous rĂ©sidence perpĂ©tuelle. Il ne s’agissait pas donc de coloniser avec les condamnĂ©s pour leur profit, mais pour celui des colons... [4]

Les colons ’libres’ arrivent eux d’abords spontanĂ©ment par leur propres moyens dès l’annexion du territoire. Puis, c’est une Ă©migration organisĂ©e qui est mise en place par le Ministère des colonies, qui offrira voyage gratuit, concession de terre et aides Ă  l’installation. La fin du siècle vie en pleine crise d’exode rural, de travail rude Ă  l’usine, de pauvretĂ©. Ces Ă©migrants issus de milieux divers, choisissent, l’exil des colonies ou ils acquièrent le statut de propriĂ©taire terrien..., puis patrons et Famille... A NoumĂ©a on disait alors : "Vous faut-il un cigare, 10 Kanaks pour un contrat, du bĂ©tail, 1000 tonnes de minerai, un navire ? Adressez-vous Ă  John Higginson !"

Higginson (toujours le mĂŞme) en 1884 achète les droits d’exploitation de la mine de cuivre Pilou et dĂ©marre les travaux. En 1885, un inspecteur signale ici un personnel de 225 condamnĂ©s et 30 libĂ©rĂ©s. L’exploitation est satisfaisante mais de moins en moins rentable et surtout très dangereuse avec des puits Ă  210 mètres de profondeurs. Ces hĂ©ritiers après plusieurs tentatives abandonneront l’exploitation en 1910, la main d’œuvre gratuite ayant disparue.

Mais d’ailleurs ou est-elle ? On la trouve au milieu de la chaĂ®ne dans la rĂ©gion de Poum, très loin au nord de la grande terre proche de la tribu d’Arama et du village indigène de Balaguet.

Totem Kanak - 154.9 ko
Totem Kanak

Mais alors ! Elle est sur les terres ancestrales Kanaks....

Aujourd’hui, la province nord Ă©tudie les modes de mises en valeur de cette mine, qui donnera un dĂ©bouchĂ© touristique Ă  la rĂ©gion...

La végétation l’envahie et est la seule dans cette histoire à retrouver ses droits...

Et Ă  DumbĂ©a province Sud, le maire donne aujourd’hui le nom d’Higginson Ă  son Ă©cole... qui enseignera quoi Ă  son sujet ?

Notes

[1] L’archipel des forcats. Histoire du bagne de Nouvelle CalĂ©donie. Louis JosĂ© Barbancon Presse Universitaires Septentrion. Ă€ propos de l’auteur (2003)

Louis-JosĂ© Barbançon est nĂ© le 12 avril 1950 Ă  NoumĂ©a, descendant de familles issues de la colonisation libre du cĂ´tĂ© paternel et pĂ©nale du cĂ´tĂ© maternel. Ses petits-enfants reprĂ©sentent la septième gĂ©nĂ©ration en Nouvelle-CalĂ©donie. De formation chrĂ©tienne, il devient dans les annĂ©es 80 secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la FĂ©dĂ©ration pour une Nouvelle SociĂ©tĂ© CalĂ©donienne (FNSC) un mouvement autonomiste. AttachĂ© au Conseil de Gouvernement de la Nouvelle-CalĂ©donie, il contribue Ă  l’Ă©laboration de rĂ©formes importantes : crĂ©ation de l’impĂ´t sur le revenu, rĂ©forme foncière, scolarisation obligatoire jusqu’Ă  16 ans, enseignement des langues kanakes... Convaincu que le mot clĂ© du Pays est celui de Partage, il participe entre 1982 et 1984 Ă  la mise en place du premier gouvernement de Jean-Marie Tjibaou composĂ© de cinq Kanaks sur sept conseillers. Un Accord de NoumĂ©a avant « les Ă©vĂ©nements ». Historien, il se consacre Ă  l’Ă©tude du Bagne depuis plus de trente ans et il fait autoritĂ© sur le sujet dans la population calĂ©donienne. Mais son passĂ© politique, ses Ă©crits et surtout son ouvrage le plus connu « Le Pays du Non-dit » (deux Ă©ditions aujourd’hui Ă©puisĂ©es, voir le Monde du 30 juin 1993 : « Les colères d’un caldoche Ă©clairĂ© ») lui valent encore de subir l’ostracisme de la majoritĂ© politique locale. Docteur en histoire, il exerce comme professeur de collège en ZEP, Ă  la Rivière SalĂ©e, un quartier populaire de NoumĂ©a et il continue de dĂ©fendre l’idĂ©e d’une identitĂ© culturelle calĂ©donienne, riche de ses emprunts au monde kanak et Ă  l’interculturalitĂ© et forte de sa francophonie insulaire. On peut aussi le consulter sur internet : http://books.google.com/books ?id=LnCHD3XJszoC&hl=fr

[2] John Higginson naĂ®t en Angleterre d’une père irlandais. En 1840, sa famille Ă©migre en Australie. ArrivĂ© sans le sou en Nouvelle-CalĂ©donie en 1859, il s’enrichit rapidement dans le commerce, puis dĂ©veloppe ses activitĂ©s (industrie sucrière, trafic de travailleurs, etc.) http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Higginson

[3] Source Mine Pilou Collection Hino Egu Trace de l’homme.

[4] GĂ©nèse d’une identitĂ© coloniale Isabelle Merle dans GENESES dossier 13. Consultble sur internet en pdf : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1993_num_13_1_1199